Conferenza di Thierry Lamote al Forum de l'ECF Arreter l'Arretè.2021
Le « Parcours
de vie », ou la mise hors-jeu
de l’inconscient1
Par Thierry
Lamote2
Je vais
vous parler ce soir d’une pratique de gestion des soins qui met insidieusement hors-jeu
le sujet de l’inconscient.
Mais pour commencer, qu’est-ce qu’un
sujet ? En psychanalyse, ce terme désigne le
sujet de la parole, le sujet marqué par elle, qui ne se réduit donc pas
à ses déterminations biopsychosociales,
mais qui, en revanche, quelles que soient ces déterminations, est contraint de s’interroger
sur ce qu’il est (« Que suis- je ? »).
Le sujet fait ainsi l’expérience de sa
propre inconsistance, puisqu’il n’est constitué que de réponses langagières (« Je suis ceci ou cela »). Il vérifie
du même coup que ces réponses ratent
le réel de son être. Nul mot n’étanche en effet le questionnement en le
définissant adéquatement, nul ne
parvient à réduire ce qu’il est réellement à du savoir : il est un trou dans le savoir, et notamment celui de la
science – elle aussi impuissante à le définir. C’est ce savoir indisponible que Freud a nommé «
Inconscient », et c’est pour le recueillir qu’il a inventé le dispositif de la cure.
Mais
il n’y a pas seulement la cure qui permette d’interroger, sous transfert, les rejetons de l’inconscient. Les institutions, ou en
tout cas certaines d’entre elles, en offrent également l’occasion, lorsque les patients rencontrent un professionnel à
qui ils supposent un savoir sur leur désir.
Voilà plus d’un siècle que le sujet
de l’inconscient résiste,
même dans les institutions, aux attaques les plus virulentes des
adversaires de la psychanalyse. La question qu’il nous faut soulever de toute urgence
est celle-ci : l’inconscient va-t-il résister au dernier avatar de l’idéologie managériale que l’on
appelle le « parcours » ?
1 Conférence prononcée lors
du Forum des psychologues « Arrêtons
l’arrêté », organisé par l’Ecole de la Cause Freudienne le 27 mai 2021.
2 Psychologue, psychanalyste, Maître de conférences à l’Université de Paris.
Cette notion, sous son allure
inoffensive, introduit au cœur des institutions médico- sociales les logiques du néolibéralisme le plus féroce. Le « parcours
», nous dit en substance Jean René Loubat, l’un de ses théoriciens les plus exaltés,
est une « nouvelle référence
terminologique » qui s’est imposée parce qu’elle est plus en phase avec
les représentations actuelles de
notre société envisagée comme un « système de réseaux ». Jetons un œil à cette société
qu’il appelle de ses vœux.
Imaginons un monde entièrement dominé
par la rationalité économique, un monde mouvant,
foncièrement instable, qui produit spontanément de la désinstitutionnalisation.
Dans ce monde-là, évidemment, l’institution, aussi bien celle du médico-social que le dispositif de la cure, est vouée à « se décomposer ». Et
c’est une excellente chose, nous dit Loubat, puisqu’en lieu et place des « établissements traditionnels » excessivement rigides
et onéreux, nous pourrions
avoir une myriade d’auto-entrepreneurs inscrits dans des « dispositifs souples
et adaptatifs », des « plateformes de services ».
Tous ces auto-entrepreneurs, en concurrence les uns avec les autres,
n’aspireraient qu’à une chose : se mettre
au service du « client
», auquel ils proposeraient les prestations les mieux adaptées à sa demande et au meilleur
coût. Exit le sujet supposé savoir ! Le client est roi, il est autodéterminé, c’est lui qui sait ce dont il a besoin.
« Les professionnels, écrit Loubat,
sont des agents de réalisation du projet de vie de la personne
bénéficiaire ». Ah, voilà une nouvelle notion : projet de vie.
Cette notion est centrale, car elle
déplace un peu les choses : celui qu’on a pris pour un simple client est en réalité un «
entrepreneur de soi »,
pour le dire avec les termes des théoriciens du néolibéralisme. A l’aide d’un coach, explique
le psychosociologue, il détermine ses attentes, précise ses objectifs,
définit ses stratégies pour les atteindre,
met en place des protocoles d’évaluation.
Le projet de vie, défini
rationnellement, vise ni plus ni moins que le « développement personnel » du client, précise Loubat.
Comme tous les entrepreneurs, l’entrepreneur de soi est en concurrence avec tous les autres sur divers marchés
concurrentiels – le marché de l’emploi, de l’amour,
des loisirs, de la sexualité, etc. Il s’agit
pour lui de défendre ses intérêts personnels sur tous ces fronts. Et c’est au service de ces intérêts-là, de cette jouissance privée, que doivent se mettre
les professionnels, en s’adaptant à la demande,
en réduisant leurs coûts et en se soumettant avec plasticité aux fluctuations du marché.
Dans ce monde où chacun serait appelé à
devenir un « entrepreneur de soi », nous serions
tous conçus comme « gestionnaire(s) d’un capital
humain » : soi-même. Il n’y aurait plus de distinction entre vie privée
et travail, entre intimité et espace public,
entre reproduction et force productive. Car le marché, une
fois immiscé partout, abolit les frontières, suture la division subjective, complète l’individu de son plus-de-jouir.
Ce serait un monde sans sujet. Que
devient l’inconscient, dans cette dystopie consumériste que pourrait bien nous
préparer cette notion de « parcours », qui se propage à une vitesse inquiétante ?
Nul doute que même l’entrepreneur de
soi, sous ses airs de machine rationnelle, soit encombré d’un inconscient. Mais s’il n’y a plus autour de lui
que des entrepreneurs, tous occupés à défendre leurs intérêts face à leurs
concurrents, qui se préoccupera de l’écouter ?
Thierry Lamote
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