Hans Holbein - Gli Ambasciatori

mercoledì 6 ottobre 2021

Il "Percorso di vita",o la messa al bando dell'inconscio. di Thierry Lamote.

 Conferenza di Thierry Lamote al Forum de l'ECF Arreter l'Arretè.2021

                                           

                                            Le « Parcours de vie », ou la mise hors-jeu de l’inconscient1

 

Par Thierry Lamote2

 

 Je vais vous parler ce soir d’une pratique de gestion des soins qui met insidieusement hors-jeu le sujet de l’inconscient.

 Mais pour commencer, qu’est-ce qu’un sujet ? En psychanalyse, ce terme désigne le sujet de la parole, le sujet marqué par elle, qui ne se réduit donc pas à ses déterminations biopsychosociales, mais qui, en revanche, quelles que soient ces déterminations, est contraint de s’interroger sur ce qu’il est (« Que suis- je ? »).

 Le sujet fait ainsi l’expérience de sa propre inconsistance, puisqu’il n’est constitué que de réponses langagières (« Je suis ceci ou cela »). Il vérifie du même coup que ces réponses ratent le réel de son être. Nul mot n’étanche en effet le questionnement en le définissant adéquatement, nul ne parvient à réduire ce qu’il est réellement à du savoir : il est un trou dans le savoir, et notamment celui de la science – elle aussi impuissante à le définir. C’est ce savoir indisponible que Freud a nommé « Inconscient », et c’est pour le recueillir qu’il a inventé le dispositif de la cure.

 Mais il n’y a pas seulement la cure qui permette d’interroger, sous transfert, les rejetons de l’inconscient. Les institutions, ou en tout cas certaines d’entre elles, en offrent également l’occasion, lorsque les patients rencontrent un professionnel à qui ils supposent un savoir sur leur désir. Voilà plus d’un siècle que le sujet de l’inconscient résiste, même dans les institutions, aux attaques les plus virulentes des adversaires de la psychanalyse. La question qu’il nous faut soulever de toute urgence est celle-ci : l’inconscient va-t-il résister au dernier avatar de l’idéologie managériale que l’on appelle le « parcours » ?

 

 

 

 


1 Conférence prononcée lors du Forum des psychologues « Arrêtons l’arrêté », organisé par l’Ecole de la Cause Freudienne le 27 mai 2021.

2 Psychologue, psychanalyste, Maître de conférences à l’Université de Paris.


Cette notion, sous son allure inoffensive, introduit au cœur des institutions médico- sociales les logiques du néolibéralisme le plus féroce. Le « parcours », nous dit en substance Jean René Loubat, l’un de ses théoriciens les plus exaltés, est une « nouvelle référence terminologique » qui s’est imposée parce qu’elle est plus en phase avec les représentations actuelles de notre société envisagée comme un « système de réseaux ». Jetons un œil à cette société qu’il appelle de ses vœux.

 Imaginons un monde entièrement dominé par la rationalité économique, un monde mouvant, foncièrement instable, qui produit spontanément de la désinstitutionnalisation. Dans ce monde-là, évidemment, l’institution, aussi bien celle du médico-social que le dispositif de la cure, est vouée à « se décomposer ». Et c’est une excellente chose, nous dit Loubat, puisqu’en lieu et place des « établissements traditionnels » excessivement rigides et onéreux, nous pourrions avoir une myriade d’auto-entrepreneurs inscrits dans des « dispositifs souples et adaptatifs », des « plateformes de services ».

 Tous ces auto-entrepreneurs, en concurrence les uns avec les autres, n’aspireraient qu’à une chose : se mettre au service du « client », auquel ils proposeraient les prestations les mieux adaptées à sa demande et au meilleur coût. Exit le sujet supposé savoir ! Le client est roi, il est autodéterminé, c’est lui qui sait ce dont il a besoin. « Les professionnels, écrit Loubat, sont des agents de réalisation du projet de vie de la personne bénéficiaire ». Ah, voilà une nouvelle notion : projet de vie.

 Cette notion est centrale, car elle déplace un peu les choses : celui qu’on a pris pour un simple client est en réalité un « entrepreneur de soi », pour le dire avec les termes des théoriciens du néolibéralisme. A l’aide d’un coach, explique le psychosociologue, il détermine ses attentes, précise ses objectifs, définit ses stratégies pour les atteindre, met en place des protocoles d’évaluation.

 Le projet de vie, défini rationnellement, vise ni plus ni moins que le « développement personnel » du client, précise Loubat. Comme tous les entrepreneurs, l’entrepreneur de soi est en concurrence avec tous les autres sur divers marchés concurrentiels – le marché de l’emploi, de l’amour, des loisirs, de la sexualité, etc. Il s’agit pour lui de défendre ses intérêts personnels sur tous ces fronts. Et c’est au service de ces intérêts-là, de cette jouissance privée, que doivent se mettre les professionnels, en s’adaptant à la demande, en réduisant leurs coûts et en se soumettant avec plasticité aux fluctuations du marché.

 Dans ce monde où chacun serait appelé à devenir un « entrepreneur de soi », nous serions tous conçus comme « gestionnaire(s) d’un capital humain » : soi-même. Il n’y aurait plus de distinction entre vie privée et travail, entre intimité et espace public, entre reproduction et force productive. Car le marché, une fois immiscé partout, abolit les frontières, suture la division subjective, complète l’individu de son plus-de-jouir. Ce serait un monde sans sujet. Que devient l’inconscient, dans cette dystopie consumériste que pourrait bien nous préparer cette notion de « parcours », qui se propage à une vitesse inquiétante ?

 Nul doute que même l’entrepreneur de soi, sous ses airs de machine rationnelle, soit encombré d’un inconscient. Mais s’il n’y a plus autour de lui que des entrepreneurs, tous occupés à défendre leurs intérêts face à leurs concurrents, qui se préoccupera de l’écouter ?

 

Thierry Lamote

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